La mort tragique d'AKA

Les circonstances du décès - Les déclarations des autorités togolaises - Les conclusions des rapports d'autopsie

Les circonstances du décès d’AKA

Le corps sans vie d’Atsutsè Kokouvi Agbobli (AKA), historien, journaliste, ancien ministre et président du Mouvement pour le développement national (MODENA), parti d'opposition togolais, a été retrouvé par un pêcheur le vendredi 15 août 2008 sur une plage de Lomé à proximité du lieu-dit du « Foyer des Marins » aux environs de 10h00. Plaqué à terre, les yeux injectés de sang, les lèvres sanguinolentes et le front altéré par des ecchymoses, la dépouille d’AKA ne portait aucun effet personnel à l’exception de ses mocassins et ses chaussettes.

AKA aurait été vu pour la dernière fois par son chauffeur le jeudi 14 août 2008 aux environs de 04h30 après que ce dernier l’ait déposé sur le front de mer à une centaine de mètres de l’hôtel Mercure Sarakawa.

Le médecin-militaire, le Commandant Afatsawo, dépêché sur les lieux en vue de constater le décès situe la mort d’AKA entre 03h30 et 04h30 le vendredi 15 août 2008.

Le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, le Colonel Atcha Titikpina, ancien chef de la garde présidentielle du Général Gnassingbé Eyadema, affirme, dans un communiqué lu à la télévision nationale le vendredi 15 août 2008, que le corps d’AKA aurait été « rejeté par la mer » (voir
intégralité du communiqué).

Cette hypothèse est ensuite formellement démentie par les conclusions du premier rapport d’autopsie du Professeur Gado Napo-Koura, Docteur en médecine, Professeur à la faculté Mixte de Médecine et de Pharmacie de l’Université de Lomé requis par le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance, Première Classe de Lomé. En effet, ce dernier indique qu’« il ne s’agit par d’une mort par noyade » et que « l’hypothèse d’une mort toxique probable, par intoxication médicamenteuse [...] reste plausible » sans avoir pour autant effectué les analyses toxicologiques nécessaires à la détermination de la nature chimique des substances ayant provoqué le décès.

Sur proposition du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies (HCDH) et après accord de la famille d’AKA, une seconde autopsie est réalisée par le Docteur Nizam Peerwani du Comté de Tarrant, Texas (Etats-Unis) agissant pour le compte de l’organisation non-gouvernementale Physicians for Human Rights, qui conclut, quant à elle, que « la mort n’est pas due à une intoxication médicamenteuse » ni à des « blessures traumatiques » mais plus probablement à une noyade sachant que « le diagnostic de noyade en l'absence de toutes preuves fiables à prendre en compte [n’a pu] se faire que par exclusion » des autres hypothèses. Ce second rapport d’autopsie relève également l’« énigme » que constitue la découverte du corps « nu sur la plage » à l'exception de ses mocassins et ses chaussettes.

Cette énigme s'ajoute au mystère de la disparition d’AKA entre le jeudi 14 août aux environs de 04h30 et sa mort le vendredi 15 août entre 03h30 et 04h30, au laps de temps de plus de deux heures et trente minutes entre le supposé dépôt d’AKA sur la plage par son chauffeur et l’alerte de la famille d’AKA par ce dernier, aux négligences manifestes de la Clinique Biasa ayant permis la supposée « évasion médicale » d’AKA et au troublant entretien téléphonique entre le chef de l’Etat togolais et Maurille Agbobli, frère d’AKA et membre du parti au pouvoir, le vendredi 15 août 2008 très tôt dans la matinée lors duquel Faure Gnassingbé « présente ses condoléances « par avance » pour le cas où on retrouverait AKA mort... » (Voir l'article d’Africa International n°424 Octobre 2008).

Les déclarations des autorités togolaises

Le communiqué du Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile

Lors de l’édition de 20h00 du journal de la télévision togolaise (TVT) du 15 août 2008, le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile publie un communiqué indiquant que :

« Le 13 août 2008, aux environs de 12h00, le Ministre Atsutsè Agbobli, a été admis à la clinique BIASA, suite à une absorption de substances nuisibles à la santé dans le but de se donner la mort.

Après un traitement qui l’a soulagé, il s’est endormi jusqu’à la tombée de la nuit.

Contre toute attente, le Ministre Agbobli quitte discrètement la clinique hier, à 4 heures, sans prévenir le Médecin en demandant à son chauffeur de le conduire à l’hôtel Mercure Sarakawa, après une petite escale à l’hôtel Palm Beach. Chemin faisant, et à 100 mètres environs avant l’hôtel Sarakawa, il exige et descend du véhicule pour continuer à pied.

Vu sa conduite très suspecte, le chauffeur décide de saisir aussitôt sa famille.

Alertée, la gendarmerie nationale s’est aussi jointe à celle-ci, en engageant immédiatement les recherches sur les lieux.

Le Ministre Atsutsè Agbobli est resté introuvable jusqu’à ce jour, à 10h00 lorsqu’un corps rejeté par la mer s’est révélé être le sien après identification.

Lomé, le 15 août 2008.
Le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile
Le Colonel Atcha Titikpina »


Extrait de la conférence de presse du Procureur de la République, près le Tribunal de Première Instance, Première Classe de Lomé, le 18 août 2008

« Le Président du MODENA n’est décédé ni de noyade ni de mort violente ; mais plutôt d’une intoxication médicamenteuse dont la nature et la composition ne sont pas connues. Cependant l’autopsie révèle aussi que les blessures au niveau du visage de Monsieur Agbobli sont provoquées par une chute, mais [...] qu’elles ne sont pas graves [au point d’] entraîner la mort ».

Les conclusions des deux rapports d’autopsie

Conclusion de la première autopsie

Le rapport de l’autopsie effectuée le 16 août 2008 par le Professeur Gado Napo-Koura, Docteur en médecine, Professeur à la faculté Mixte de Médecine et de Pharmacie de l’Université de Lomé sur requête du Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance, Première Classe de Lomé, conclut comme suit :

« Les conclusions suivantes peuvent être tirées de l’examen médico-légal externe et de l’autopsie du corps du nommé AGBOBLI Atsutsè Kokouvi :
  • Il ne s’agit pas d’une mort par noyade.

  • Les ecchymoses notées sur le front de la victime, sans lésions osseuses sous-jacentes, ni du crâne ni de la face (vérifiées sur les radiographies réalisées sur le cadavre le jour de sa découverte), ne permettent pas de retenir une mort violente par coups et blessures volontaires, ni d’autres violences volontaires ou involontaires.

  • L’hypothèse d’une mort toxique probable, par intoxication médicamenteuse en raison des nombreuses substances que la victime a avoué avoir ingéré à son médecin traitant dans un but d’autolyse (Dr M.K. FIADJOE de la Clinique BIASA) reste plausible, les métabolites actifs de ces substances, qui peuvent persister dans le sang circulant malgré les lavages gastriques, doivent être recherchés dans les liquides physiologiques prélevés au cours de l’autopsie (contenu gastrique, sang et urines) ; ils doivent également être recherchés dans le liquide de lavage d’estomac et dans le sang prélevé et qui a servi au premier bilan en urgence à la clinique BIASA. Ces prélèvements qui sont la propriété de la clinique BIASA doivent également être mis à la disposition de l’expertise toxicologique.

Des examens histologiques des viscères prélevés seront également réalisés.

Fait à Lomé, le 20 août 2008
Professeur Gado Napo-Koura »


Conclusion de la seconde autopsie

Le Docteur Nizam Peerwani, médecin-légiste consultant de l’organisation non-gouvernementale Physicians for Human Rights mandatée par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies « a mené des entrevues indépendantes, une revue des dossiers médicaux ainsi qu’une seconde autopsie sur la dépouille du Ministre Agbobli [le 8 septembre 2008 et] a conclu que [...] :
  • Le Ministre Atsutsè Kokouvi AGBOBLI souffrait d'une myocardiopathie due à un infarctus avant la mort. Cela a uniquement été détecté sur une lame et était une lésion localisée. Une sténose significative des coronaires par athérosclérose était visible et cette ischémie myocardique était très probablement liée au stress. Il est peu probable que cela ait pu provoquer la mort.

  • La mort du Ministre Atsutsè Kokouvi AGBOBLI n'est pas due à une intoxication médicamenteuse ou à des plaies traumatiques ou à une strangulation, à une suffocation, à des contusions par objets contendants ou tranchants ou à une électrocution.

  • Finalement, il y a suffisamment de signes qui indiquent que le Ministre Atsutsè Kokouvi AGBOBLI est mort noyé. La présence de plicatures au niveau des paumes de la main et des talons, les poumons globuleux et œdémateux et la mise en évidence macroscopique et microscopique de spume constituent la base de ces allégations. Il est encore une fois important de souligner que le diagnostic de noyade en l'absence de toutes preuves fiables à prendre en compte ne peut se faire que par exclusion.

  • Suffisamment de preuves indiquent que le Ministre AGBOBLI était déprimé et avait au moins une fois tenté un suicide. Toutefois, cette investigation ne peut pas expliquer pourquoi le corps a été découvert nu sur la plage. Cela reste une énigme.


Doctor Nizam Peerwani
Consultant Senior
Physicians For Human Rights
Médecin-légiste en chef, Comté de Tarrant, Texas, Etats-Unis
4 Novembre 2008 »